Proprioception, intéroception et système vestibulaire : à la découverte de nos autres systèmes sensoriels
May 14, 2025
Nous connaissons tous les cinq sens que sont l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher et la vue. Ils forment ce que nous appelons la voie extéroceptive, qui nous permet de percevoir et d'évaluer la sécurité de notre environnement extérieur grâce aux informations sensorielles qu'ils transmettent au cerveau, ce qui est évidemment indispensable pour notre survie.
Mais il existe également trois autres systèmes sensoriels, souvent méconnus mais tout autant importants pour notre cerveau et sa perception de sécurité et de danger : la proprioception, l’intéroception et le système vestibulaire, que nous allons explorer dans cet article.
Qu'est-ce que la proprioception ?
La proprioception est le sens qui permet à notre cerveau de connaître en temps réel la position de notre corps dans l’espace, mais elle va bien au-delà puisqu'elle lui permet également de maintenir une représentation interne de l’ensemble de notre corps — une véritable carte en trois dimensions, logée dans notre cerveau.
C’est grâce à cette carte que vous êtes capable de localiser vos pieds, d’imaginer leur position, leur volume, leur orientation, sans même avoir besoin de les regarder.
Comment fonctionne la proprioception ?
Notre corps contient des millions de récepteurs nerveux, appelés propriocepteurs, situés principalement dans les muscles, les tendons, les ligaments, les articulations et la peau. Chaque étirement, chaque pression ou tension est détecté par ces capteurs, qui transmettent l’information au cerveau.
Celui-ci — notamment le cervelet (pour les ajustements automatiques) et le cortex (pour la perception consciente) — élabore ce que nous appelons le schéma corporel : une véritable carte mentale de notre posture et de nos mouvements.
Ce mécanisme permet au cerveau de contrôler et d’ajuster en permanence la contraction et le relâchement des muscles, pour coordonner les mouvements et maintenir l’équilibre.
La proprioception dans la régulation des émotions et du stress
Pour une bonne intégration des informations sensorielles, et une interprétation correcte de la situation que nous vivons, le cerveau est attaché aux principes de précision et de clarté des informations transmises par nos différents systèmes. Cela s’applique aussi pour notre carte proprioceptive car derrière le besoin de s’assurer de la position de notre corps, se cache le besoin archaïque d’éviter la chute, véritable risque potentiel pour notre survie.
Une carte proprioceptive qui n’est pas assez claire augmente donc naturellement notre niveau de menace global, le cerveau ne pouvant plus prédire de manière certaine notre sécurité. Qui dit imprévisibilité (ici quant à la position du corps et les conséquences de nos mouvements) signifie activation par précaution des mécanismes d’alarme et d’anxiété pour nous amener à être plus prudents, à moins bouger, à davantage appréhender notre environnement.
Des recherches récentes viennent d'ailleurs étayer l’impact concret d’une mauvaise proprioception sur la santé émotionnelle, comme une étude de 2024 qui a proposé un modèle conceptuel expliquant pourquoi les personnes neurodivergentes (par exemple avec troubles du spectre autistique ou TDAH) présentent plus souvent des difficultés de régulation émotionnelle : l’hypothèse centrale est qu’elles traitent moins finement les erreurs proprioceptives, c’est-à-dire les écarts entre les mouvements prévus et le feedback sensoriel réel, ceci étant notamment lié à une hypermobilité articulaire. Autrement dit, le cerveau de ces personnes n'est pas en capacité de prédire correctement.
C'est pourquoi l'Intelligence Neuro-Somatique© intègre naturellement la rééducation du système proprioceptif, l'entraînement consistant à éclaircir la carte proprioceptive afin d'abaisser naturellement le niveau d'anxiété en permettant une bonne intégration sensorielle.
Lorsque le cerveau n'est plus absorbé à lutter contre des informations sensorielles qui manquent de clarté, nous pouvons sortir de nos réactions au stress et retrouver la liberté de vivre pleinement.
Qu'est-ce que l'intéroception ?
L'intéroception est comme une boussole, un sixième sens qui permet à notre cerveau de savoir ce qui se passe dans notre corps. C'est grâce à elle que nous sommes capables de ressentir la faim, la soif, la douleur ou même le besoin d'aller aux toilettes. Les signaux interoceptifs ont pour but de nous mener vers une action : avoir faim nous pousse à manger. Etre fatigué, à dormir. Etc.
Mais l'intéroception est aussi émotionnelle : ressentir, comprendre et interpréter nos émotions. Elle est même intuitive : nous pourrions dire que ce que nous appelons "intuition" est en réalité la capacité à percevoir des informations internes.
Une bonne intéroception c'est donc savoir qui l'on est, quels sont nos besoins et faire une lecture juste de ce qui se passe vraiment en nous.
Comment fonctionne l’intéroception ?
Le nerf vague est l'acteur-clé de notre intéroception, puisque son rôle est de servir de conducteur des informations sensorielles vers le cerveau.
Comme pour la proprioception, cette perception repose sur des récepteurs sensoriels disséminés dans les organes internes et les tissus profonds du corps.
Il faut aussi noter que l’intéroception est considérée comme le sens prioritaire du cerveau pour évaluer notre degré de sécurité : le cerveau accorde en effet la plus haute importance à ce qui se passe à l’intérieur du corps, plus qu’aux stimuli externes, et les informations intéroceptives comptent pour 80% lorsqu'il doit non seulement effectuer ses prédictions, mais aussi décider plus largement de nos pensées, de nos croyances etc. Pour changer ces dernières il faut donc d'abord changer la manière dont on se sent.
L'intéroception dans la régulation des émotions et du stress
J'aimerais tout d'abord parler d'une étude de 2019 qui a étudié l'intéroception et son lien avec ce que les anglophones appellent "embodiment", que l'on pourrait traduire par le fait d'être dans son corps, présent à ce qu'on vit.
Cette étude a révélé que plus notre capacité intéroceptive est développée, et plus nous sommes capables de vivre une bonne régulation émotionnelle et une justesse dans nos croyances et notre sens de l'identité, tout ceci étant lié en particulier à l'activation de notre cortex cingulaire antérieur et de notre insula.
Et la capacité à être dans notre corps est la clé : tout comme pour la proprioception, notre cerveau a besoin de recevoir des informations intéroceptives claires et précises car comment nous permettre de survivre s'il ne sait pas ce qu'il se passe dans notre corps ?
Le problème est que le trauma nous sépare du corps et que l'une des adaptations du cerveau au stress chronique est de nous dissocier de nos sensations corporelles et de bloquer la conscience des signaux internes (trop intenses, trop désagréables, donc potentiellement dangereux).
Dans ce cas l'insula devient moins active, nous sommes un peu anesthésiés et pouvons avoir l'impression de ne pas ressentir grand chose. C'est ainsi que j'entends beaucoup de mes clients me dire qu'ils sont trop dans leur tête ou qu'ils ont besoin d'être sans cesse occupés : le challenge est de rester dans son corps.
Et tout comme dans le cas de la proprioception, sans carte intéroceptive claire notre survie est moins prévisible, notre niveau de menace augmente naturellement et nous vivons avec le filtre du danger, en état de réponse au stress.
Anxiété, dépression, attaques de panique, difficulté à prendre des décisions.. Une mauvaise intéroception impacte véritablement notre vie dans sa globalité.
En Intelligence neuro-somatique, notre entraînement donne une grande place à la rééducation de notre sens intéroceptif. Nous agissons aussi bien sur le rétablissement de la bonne conductivité des informations par le nerf vague, que sur la capacité les recevoir en sécurité mais aussi à les interpréter correctement, car pour certaines personnes c'est cette mauvaise interprétation qui crée l'augmentation du niveau global de menace.
Une bonne intéroception – c’est-à-dire une capacité fine à ressentir et identifier ses signaux corporels – est associée à une meilleure gestion du stress. En étant à l’écoute des signes précoces de stress dans le corps, on peut intervenir plus vite pour y remédier, mieux se connaître, et mieux trouver sa place dans le monde.
Qu'est-ce que le système vestibulaire ?
Le système vestibulaire, appelé plus communément "oreille interne" est celui qui nous permet de :
- maintenir notre posture, d’avoir l’équilibre ;
- stabiliser notre vision lors des mouvements de tête ;
- percevoir les mouvements et l’orientation de notre corps dans l’espace
De manière générale nous n’avons pas conscience de ce système, il agit en arrière-plan. Nous le remarquons toutefois quand il dysfonctionne, par exemple en cas de vertige, de mal des transports, ou après avoir tourné sur nous-même.
Comment fonctionne le système vestibulaire ?
Ce système est situé dans l’oreille interne, de part et d’autre de notre crâne. Il fonctionne en synergie avec la vision et la proprioception pour nous donner un sens complet de l’équilibre. Le système vestibulaire est aussi fortement connecté aux structures limbiques du cerveau, celles qui gèrent les émotions et la mémoire.
Le système vestibulaire dans la régulation des émotions
Le système vestibulaire partage des informations avec l’amygdale (partie de notre cerveau impliquée dans la peur et l’anxiété) et l’hippocampe.
Cela signifie que notre sens de l’équilibre impacte nos émotions au quotidien.
Par exemple, il est tout à fait possible que des émotions fortes puissent provoquer une perte d’équilibre et inversement qu’une perte d’équilibre soudaine puisse provoquer des émotions fortes.
Le vestibule est d’ailleurs souvent considéré comme essentiel à notre sentiment de sécurité intérieure : quand ce système fonctionne bien, nous nous sentons stables, ancrés, alignés. À l’inverse, quand il dysfonctionne, nous pouvons nous sentir vulnérables et anxieux.
Le système vestibulaire dans la régulation du stress
Nous avons déjà abordé l'activation de l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (ou HHS) lorsqu'une menace est détectée par notre amygdale. Il déclenche notamment la production de cortisol, l’hormone du stress.
Il est possible de moduler le déclenchement de cette réponse en travaillant sur le système vestibulaire car ce dernier communique avec l'hypothalamus, pilote de cet axe HHS, et peut permettre la libération de neurotransmetteurs favorisant la réduction du cortisol.
Par ailleurs, le vestibule est aussi connecté à une zone très importante du cerveau : l’hypothalamus, qui régule nos fonctions automatiques (sommeil, faim, rythme cardiaque, etc.). Cela montre que l’équilibre joue aussi un rôle dans l’équilibre émotionnel et physiologique global.
Conclusion
L'entraînement neuro-somatique permet de clarifier l'ensemble des informations sensorielles de notre environnement afin que notre cerveau puisse se faire une vision juste et correcte de notre environnement. Cette justesse permet que l'interprétation qu'il fait de ce que nous vivons soit elle aussi exacte, et que la réponse choisie en réaction ne soit pas l'expression d'un réflexe de survie, mais nous permette au contraire de réagir de manière réfléchie et posée, connectés à notre environnement.
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